Bonjour à tous, très heureux de rejoindre ce forum! Mon premier post sera donc un OS écrit pendant une "nuit de l'écriture" d'un autre forum.
"C'est pas bientôt fini ce bordel?"
Slash se renverse en arrière sur sa chaise. Il considère l'inconnu qui vient de le héler.
"Doucement, l'ami" l'apaise-t-il. "C'est juste un grilleur. Une bestiole inoffensive.
-Inoffensive? Ces animalcules robotiques, y'en pas un qui soit pas susceptible de te péter à la tronche. J'ai déjà vu ça arriver, alors range-moi cette saleté."
Slash ramasse en soupirant le petit insecte métallique et le cache dans la poche de son veston. Tremp, assis en face de lui, sourit.
"Toujours passionné par les anirobots, hein? C'est impressionnant la façon dont tu parviens toujours à te procurer le dernier sur le marché. Tu t'es déjà lassé de ton chat cyborg de la semaine dernière, au fait? Dommage, je l'aimais bien. Les insectes et moi... brrr" dit-il en riant.
Slash sourit à son tour.
"Ouais, je les adore" reconnaît-il. "Mais de toute manière, les animaux artificiels sont plus ou moins finis. Maintenant que tous les modèles courants sont sous la black upgrade, les seules innovations possibles pour les concepteurs portent soit sur la création de nouvelles espèces, soit sur la modification des actuelles. Y'a toujours l'équipe personnelle de Nova qui s'occupe de la synthétisation d'une véritable intelligence artificielle, mais plus personne n'y croit. Introduire une réplication de Langton pour permettre à ces petites bèbètes de se reproduire "comme les vraies" était assez fortiche mais depuis y'a aucun vrai progrès. Le vide total."
Tremp se gratte la gorge, pensif.
"J'ai jamais beaucoup aimé Nova" finit-il par lâcher. "Je veux dire, il est pas clair. Je comprends pas comment lui ne peut pas recréer un polymère simili-humain. Il ne peut pas copier son propre circuit ou quelque chose dans ce goût-là?
-C'est pas si simple. Je suis d'accord sur le fait que personne ne sait d'où il vient, s'il a été fabriqué par quelqu'un, s'il s'est auto-créé... Mais même lui n'en sait rien. Il ne peut sans doute pas.
-Que tu crois!
-Arrête, Tremp. Il est déjà au centre de toutes les attentions depuis qu'il s'est fait connaître de l'Echelle. Qu'est ce qu'il aurait à perdre à révéler ses origines? D'autant plus que quelles que soient celles-ci, s'il les connaît, il ne risque pas de donner des détails. Tu te rappelles avec quelle fureur il s'est battu pour obtenir son état civil? Il ne risquait pas d'encourager l'opinion publique à le considérer comme un simple automate. Et, bon dieu, comment aurait-on pu décemment le faire? Ce mec est aussi humain que toi et moi.
-Tu vas un peu loin, là. Il est très sympathique, je te l'accorde, mais c'est pas un être humain pour autant. Et puis il a bien été capable de sortir cette foutue black upgrade de nulle part, non? C'est pas bizarre, ça, ce logiciel universel qui simule une intelligence animale auto-développée en imitant et en ameliorant à peu près tous les schémas logiques qu'on lui fait absorber?
-C'est pas la même chose. Tu le sais. Le problème avec Nova, c'est pas sa nature complètement artificielle, c'est qu'il se bat parce qu'il veut se croire humain. Ca suffit pas à le définir comme tel?
-Bien sûr que non. La chair, les os, ça, ça ne ment pas.
-Et les greffes de membres cybernétiques? Ca, c'est pas Nova qui s'en occupe, à ce que je sache. S'implanter un peu de métal dans le corps, ça déshumanise? Faut que tu t'y fasses, Tremp, la notion d'humanité est en perpétuelle évolution. Nova ne fait que montrer par son existence qu'il est possible d'envisager l'être humain non plus comme un corps mais comme une simple personnalité. Peu importe l'enveloppe, seul l'esprit importe. C'est sûr que ça emmerde les industriels de la bio-réparation, mais crois-moi, dès que le secret des origines de Nova sera percé, tout le monde sera prêt à échanger son corps biologique ou cyberamélioré contre un avatar entièrement robotique, plus résistant. Peut-être même un endosquelette neural, qui sait?
-Alors là, tu dis des conneries. Personne ne voudra risquer un quelconque "transfert". Il est bien beau ton idéalisme, mais je suis pas le seul à considérer Nova comme une vulgaire machine. On est pas tous aussi enthousiastes que toi vis à vis des applications humaines, Slash. Y'a des risques, des risques énormes.
-Mais c'est justement là que Nova entre en jeu! Il a un pouvoir énorme sur la perception qu'ont les gens des technologies robotiques. Regarde-moi dans les yeux, mon cher Tremp, et ose me dire que le jour où il a grimpé le grand escalier central de l'Echelle, sans les fringues humaines qu'il portait jusqu'alors, ton cœur n'a pas battu à cent à l'heure. Ose me dire que tu n'as pas retenu ton souffle lorsqu'il s'est retourné face à la foule et qu'il a ôté son plastron d'acier pour permettre à tout le monde de voir ses entrailles mécaniques. Tu vois!" s'exclame Slash. "Qu'on l'aime ou pas, il représente quelque chose d'énorme pour nous tous. C'est un espoir formidable qu'il nous a inconsciemment apporté."
Tremp ne dit plus rien, mais Slash semble lucide quand à l'efficacité de ses arguments sur son ami.
"Tiens, quand on parle du loup" dit-il soudain. "Bethany, tu peux monter le son s'il te plaît?" crie-t-il à travers la salle enfumée du bar à la serveuse. Celle-ci s'exécute. La télévision diffuse les images d'une silhouette grise qui s'avance sur le parvis de l'Échelle. Ses membres sont faits de métal froid, son torse arbore une dizaine de tuyaux coudés. Sa tête, légèrement plus claire, est également plus finement travaillée : les plaques articulées simulent de façon assez convaincante le dessin d'un visage d'homme. Seuls les globes oculaires, noirs, et la bouche, un peu raide, créent un réel malaise. La caméra effectue un zoom. Il a une expression qu'on pourrait qualifier de confiante et de chaleureuse.
Slash et Tremp se sont rapprochés du comptoir, comme tous les autres clients.
"Mes amis, je vous souhaite le bonjour" dit Nova dans le micro qu'on vient de lui apporter. "Depuis ma dernière allocution sur mes travaux, il y a deux mois, mon équipe et moi avons travaillé dur sur notre projet d'élaboration d'un automate cellulaire suffisamment élaboré pour servir de base à la construction d'une mémoire intelligente. Nous sommes heureux de vous annoncer que, si le problème de la pensée coercitive n'a pas encore été résolu, nous sommes parvenus à créer un être complètement artificiel, à l'intelligence limitée certes, mais doué du langage et de la faculté d'effectuer quelques raisonnement abstraits simples. Nous sommes certains depuis hier, après toute une batterie de tests, qu'il s'agit bien d'un phénomène structuré et non de décharges purement fortuites d'informations suivant les canaux simili-neuronal. En un mot : nous n'avons jamais été aussi proche du rêve de la robotique : la création d'une entité à l'intelligence humaine et d'origine artificielle. Nos résultats nous encouragent dans nos efforts à comprendre et analyser la hiérarchie "cérébrale" obtenue dans le but de décrypter le propre secret de ma conception." Il a baissé la tête. "Mesdames et messieurs, je vous présente Kaos."
La silhouette encapuchonnée qui se tenait jusqu'alors derrière lui s'avance. Une main fine émerge de la cape pour rabattre la capuche.
La tête de Kaos est infiniment plus humaine que celle de Nova. Ses traits sont parfaitement dessinés, de faux cheveux blonds tombent en boucles sur ses oreilles en plastique. Il a exactement le teint d'un homme ordinaire ; on devine vaguement la couche de pâte thermique qui recouvre son visage et qui lui tient lieu de peau. Elle doit être articulée à un réseau de pistons et de vérins, car elle est extrêmement souple et mobile. Ses yeux surtout sont très expressifs.
"Bonjour à tous" fait-il, hésitant, dans le micro tendu. Il a l'air un peu perdu, mais il tente tout de même un sourire timide. "Je suis très heureux d'être parmi vous."
À l'intérieur du bar, les clients, tout d'abord hébétés, éclatent brusquement en vivats et en accolades folles. Slash est aux anges. Tremp a l'air estomaqué ; mais lui aussi cède bien vite à la liesse générale. Le patron offre une tournée générale, quelques couples esquissent des pas de danse, tout le monde parle très fort. La nouvelle de l'aboutissement même partiel des recherches de Nova plonge tout le monde dans l'allégresse la plus totale.
Et le même phénomène se produit dans toute la ville.
Sur l'esplanade en pierre lisse, Kaos est devenu muet. Les yeux dans le vide, les membres relâchés, il a l'air soudainement étrangement absent. Sa puce-cerveau ne lui envoie qu'une seule série d'instructions très précises, visants à veiller à ce que la cape de toile opaque voile parfaitement tout son corps. Ses bras mécaniques, dont seules les mains et les fins d'avant-bras sont couverts de peau artificielle, pendent dans le vide. Ses jambes sont en position verrouillée. D'un air absent, il rajuste du bout des doigts sa tunique.
Nul ne doit voir que le tissu cache l'absence d'organes synthétiques dans son corps creux à la cage thoracique béante. Nul ne doit voir le réseau de câbles et de leviers qui articule ses membre, ni les bandes grossières stockées dans son épaule qui diffusent des enregistrements via le haut parleur de la gorge. Nul ne doit voir que Kaos n'est qu'une coquille vide dotée d'une puce d'anirobot bas de gamme.
Et surtout, nul ne doit voir le câble noir qui émerge de son dos et qui rejoint en sinuant l'alimentation de la jambe droite de Nova.